Plus que l'intrigue elle-même, c'est le langage qui constitue le sujet même du roman. Toujours soucieux d'élaborer une langue nouvelle qui donnerait au français parlé une existence littéraire, Raymond Queneau y adopte une orthographe phonétique, «francise» en les agglutinant des termes étrangers et utilise la syntaxe du parler quotidien et populaire. Le génie de ce texte ne tient pas tant dans le fond que dans la forme: les transformations du langage et du style romanesque qu'opère l'auteur sont surprenantes et admirables. Il réussit à inventer un compromis entre le théâtre et le roman. C'est un exercice de style, un inventaire de toutes les techniques littéraires. Raymond Queneau explore le langage, et, au-delà d'une construction romanesque complexe, interroge, non sans pudeur, le sens de la vie. La langue est un objet d'expérience, un territoire illimité d'exploration.
Du livre à la scène, nous sommes conduits par cette volonté d'explorer et de partager cette recherche de la représentation d'un texte littéraire au théâtre. Après le Théâtre Elisabéthain et la Tragédie Grecque, nous explorons ici un registre différent : une œuvre contemporaine, drôle et existentielle, cela non plus avec une interprète unique, mais une comédienne (Zazie), et un comédien (Tonton Gabriel - le «type» - Charles).
La langue est parole. Raymond Queneau joue avec la littérature. Nous voulons jouer nous-même avec les mots, interpréter ces personnages au profil psychologique peu défini, certains même interchangeables, sans identité.
L'adaptation est fidèle au texte original. Toutes les «scènes» relatant les faits et gestes des personnages dits «secondaires» ont été supprimées. Et Zazie apparaît alors toujours accompagnée d'une présence masculine.
Deux comédiens - Sylvie Adjedj-Reiffers et Benjamin Tudoux - sont ces personnages «types». La «ligne claire» de l'interprétation révèle ces «caractères». Les personnages n'existent pas dans leur réalité psychologique.
Une «ligne claire» qu'Olivier Gallard, graphiste plasticien associé à ce projet, a développé. L'exercice de style se construit dans des formes simples, rondes, et colorées.
Le Paris des années 1950/1960 est un élément clé de cette histoire. Les images données au spectateur sur le plateau situent le lieu, mais la «ligne claire» choisie ne veut pas installer un cadre espace-temps défini. Cette volonté d'emmener le public dans un «ailleurs» indéfini se poursuit dans la bande son du spectacle, où les sons, tous issus d'ambiances réelles, sont stylisés.
Le spectateur entre en salle : Zazie et Tonton Gabriel sont en scène, image fixe ; le plateau est «apparemment» nu. L'histoire commence et, de par le parti pris d'installer les décors à vue, le spectateur découvre Paris en même temps que Zazie.
Jouant le jeu de l'auteur qui se livre à un pur exercice de style littéraire, notre présentation de ce texte est elle-même exercice de style sur le plateau. Un spectacle très visuel, où les petites et grandes choses de la vie sont présentées à un tout - public dès 12 ans
Zazie pose de nombreuses questions et mûrit au contact des adultes. Elle entre peu à peu dans le monde des adultes sur lesquels elle porte un regard d'ingénue et de candide bien que très critique ; elle ne comprend pas leur comportement, les regarde, les observe. Son personnage est hérité des contes philosophiques: entrée dans un monde inconnu, elle porte un regard neuf et interrogateur sur une société où elle sème donc le doute et le trouble. Roman d'apprentissage, Zazie dans le métro s'interroge sur l'existence et la fuite du temps. À sa mère, qui lui demandera à l'issue de son séjour ce qu'elle a fait à Paris, Zazie répondra : «J'ai vieilli».
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